Poursuite par (fine) équipe
L’équipe de France féminine de poursuite par équipes est un groupe solide, qui progresse depuis de nombreuses années, et dont le potentiel s’est révélé à l’occasion des Jeux de Tokyo.
Un groupe soudé qui plus est, sait se transcender dans la difficulté.
Mercredi 3 avril 2024, centre-piste du vélodrome national. Elles sont toutes là, les 5 : Victoire Berteau, Marion Borras, Clara Copponi, Valentine Fortin et Marie Le Net. Samuel Monnerais les a réunies pour un dernier stage avant l’ultime manche de Coupe des Nations à Milton, deux semaines plus tard. Il faut bien le dire, quelque chose aujourd’hui semble contrarier leur naturel allègre et volubile.
Habituellement ces filles-là s’envoient des rires comme les arbres au printemps échangent les bonds d’oiseaux. Mais leurs visages sont plus graves qu’à l’ordinaire – plus en tout cas que ce jour où nous les avions conviées pour la photo de groupe. Elles sont assises, se préparent chacune de son côté, et parlent peu. Certes, les motifs de souci ne manquent pas et la fatigue est présente, après un début de saison sur route bien chargé, et pluvieux. Victoire récupère tout juste de son Tour des Flandres couru trois jours plus tôt ; quatre d’entre elles doivent aussi, perspective passablement anxiogène, courir Paris-Roubaix samedi, dans trois jours ; dont Marion, qui est « un peu malade. »
Il faut travailler malgré tout, et elles montent en piste à l’heure dite pour effectuer les exercices prévus.
Filles et garçons confondus, le groupe piste endurance de l’Équipe de France est un groupe « qui vit bien ensemble », selon l’expression de son head coach, Steven Henry. « On est toujours content de se retrouver », dit-il. Les filles sont particulièrement complices – certaines d’entre elles sont très proches et, en tout état de cause, elles savent toutes l’intérêt qu’elles ont à s’entendre et à surmonter les inévitables moments de difficulté.
Avant d’être des athlètes affûtées, ce sont des adultes avisées.
Dix ans plus tôt, à Bourges
Soudé, le groupe a déjà une longue histoire, dont les commencements nous ramènent presque dix ans en arrière. En septembre 2014, alors que le pôle espoir de Talence venait d’y migrer, Valentine Fortin, alors cadette et Marion Borras, junior, intégraient Bourges. Un an après, Clara Copponi y posait ses valises, et encore un an plus tard, en septembre 2016, c’était au tour des deux plus jeunes du groupe, Marie Le Net et Victoire Berteau.
Entre temps, Samuel Monnerais, ex-CTR de Bretagne, avait changé le mode de recrutement du pôle : plutôt que sur candidature, les pensionnaires seraient recrutés à partir des résultats du plan national de détection, et des données objectives recueillies par les comités.
Les meilleurs seraient invités à venir passer des tests complémentaires sur place, et à visiter les lieux par la même occasion. « Je mettais explicitement les données physiques au cœur du recrutement. D’accord, le physique ne fait pas tout, mais c’est tout de même une base indispensable quand on fait projet d’aller tutoyer les sommets » dit aujourd’hui l’entraineur.
Dès le départ, les Jeux Olympiques 2024 et 2028 étaient l’objectif déclaré du pôle espoir de Bourges. « Cependant, poursuit Monnerais, nous n’étions pas particulièrement focalisés sur la poursuite par équipes. Or, c’est une discipline très technique et très stratégique, qui demande d’y passer beaucoup de temps, d’essayer des solutions différentes. Et, de fait, on a plus travaillé là-dessus que sur les courses en peloton. »
Surtout, dès les compétitions juniors, les filles montèrent sur les podiums mondiaux. De belles performances qu’il convenait de relativiser : au chrono, elles restaient loin des meilleures. À 6 ou 7 secondes des Italiennes notamment (cette génération exceptionnelle des Paternoster, Balsamo, Consonni, Fidanza, etc.) Ce n’était pas suffisant pour rêver de médaille, mais encourageant néanmoins.
À Tokyo, se qualifier « pour voir… »
La perspective des Jeux de Tokyo éveille alors plus de curiosité que d’espoir. « On a commencé à se dire que ce serait bien de se qualifier pour voir (sic), dit l’entraineur. L’idée, c’était de monter un groupe. »
De fait, les Françaises se qualifieront pour les Jeux in extremis, à l’occasion des championnats du monde de Berlin, en février 2020. À ce moment de l’histoire, leur meilleur temps se situe environ à 4’17’’. Et encore faut-il le tempérer, car les deux fois où elles atteignent cette marque, c’est en rattrapant leur adversaire (la Pologne), ce qui les voit bénéficier de l’aspiration dans les derniers tours.
Arrive le Covid, qui en l’absence de compétition poussera les collectifs à investir dans le travail de fond et les stages en hypoxie.
C’est aussi le moment de l’arrivée dans le staff d’Iris Sachet, sport scientist, et spécialiste des profils force-vitesse, qui permettent de repenser à nouveau frais la question des braquets. Une révélation pour certains athlètes, dont Victoire Berteau. « Victoire a un profil force-vitesse très atypique, explique donc Iris Sachet, et jusque là elle n’était pas dans les meilleures conditions pour l’exploiter. »
C’est, enfin, le début du programme THPCA, avec l’apport des sciences physiques (trajectoires de relais, optimisation du matériel, aérodynamique, etc.) Le travail porte ses fruits. En août 2021, aux Jeux (décalés) de Tokyo, les poursuiteuses françaises réalisent finalement un extraordinaire 4’10’’. Certes à presque à 6 secondes du titre (les Allemandes gagnent en 4’04’’500), mais à 2 de la médaille. Et même si les conditions de piste y étaient excellentes, il y a de quoi être fier : 7 secondes gagnées en 18 mois – et pour une équipe si jeune !
Fortes dans leur(s) tête(s)
Depuis lors l’Équipe de France de poursuite féminine a décroché deux médailles de bronze en championnat du monde, en 2022 et 2023. Le plan de relais n’est pas fixé une fois pour tous, il est susceptible d’évoluer d’un jour à l’autre suivant l’état de forme de chacune. Il peut arriver à Marion Borras d’effectuer un relais « central » de quatre tours, voire quatre et demi, qui permet aux trois autres de se refaire une santé pour finir fort.
Le temps de 4’13’’ réalisé à Glasgow peut sembler en dessous des attentes – moins bien qu’à Tokyo, deux ans plus tard.
Mais, dans ce sens-là aussi, il faut savoir relativiser, affirme Monnerais : « On avait voulu trop en faire au dernier moment, et ça nous sert de leçon. Les filles étaient fatiguées, voire malades. Leur poursuite pour le bronze n’est pas une réussite esthétique. Mais ce que je retiens, c’est que dans ces conditions très défavorables, elles se sont battues bec et ongles et n’ont rien cédé aux Italiennes. Elles ont montré leur solidité dans la difficulté. Savoir qu’elles ont cette capacité de transcender leur état du moment, c’est un point très rassurant. »
Dans quelques jours, après cette dernière Coupe des Nations à Milton, les conditions d’approche de l’évènement olympique se présentent sous un bien meilleur jour. Et on y croit avec elles !