Équipe de France

Frottements et frictions : ce que ça coûte 

frottements et friction

La branche du génie mécanique qui étudie les phénomènes de contact et de friction se nomme « tribologie. » Concernant le cyclisme, elle se penche sur les frottements entre le pneu et la route, ou entre la chaine et les pignons. Voici quelques conclusions précieuses de la cellule Recherche & Performance de la FFC, quant à savoir comment les minimiser pour économiser des Watts.

Le cycliste peut être envisagé comme une machine thermique. Il produit de l’énergie qu’il transforme en mouvement. Mais un certain nombre de forces s’opposent à ce mouvement, limitant sa vitesse de déplacement. En tête desquelles, nous l’avons vu dans un précédent article, la résistance de l’air qui s’exprime comme pression sur sa surface frontale et comme coefficient de traînée. 

Entre son appui sur la pédale et les deux surfaces de contact des pneus avec la route, il existe aussi un certain nombre de frottements consommant de l’énergie, afférant à la machine elle-même. 

Il s’agit principalement des pneumatiques eux-mêmes et de leur frottement au sol, de la friction de la chaine sur les pignons, et sur elle-même en quelque sorte, et des résistances internes aux roulements (axes de pédale et de pédalier, moyeux.) 

Le pneumatique en question 

Cela tombe sous le sens : la qualité intrinsèque des pneumatiques détermine la quantité de résistance au roulement. Entrent en jeu, bien sûr, la section du pneu, la souplesse ou l’élasticité de la carcasse et la qualité de la chappe (ou bande de roulement). La surface de contact (aussi bien au sens quantitatif qu’au sens morphologique) du pneu au sol diffère ainsi d’un modèle de pneumatique à l’autre, mais elle est aussi (et surtout ?) fonction du poids de l’athlète et d’une pression de gonflage, dont le niveau optimum est lui-même lié à la qualité du terrain et/ou du revêtement – évidemment, on ne gonfle pas à la même pression sur piste, sur route bitumée ou sur pavé. 

Concernant la piste, qui nous intéresse ici, les pressions de gonflage optimales sont extrêmement élevées. En l’absence de vibrations (revêtement parfaitement lisse), et eu égard aux vitesses considérées, l’optimale se situe entre 13 et 14 bars de pression (pour les sprinters s’entend – aux forts gabarits – mais les « endurants » ne gonflent pas beaucoup moins) 

C’est la raison pour laquelle l’Équipe de France sur piste continue d’utiliser les boyaux : de telles pressions dans un pneu sont une contrainte trop forte pour la jante (laquelle devrait être considérablement renforcée et alourdie pour les supporter) : les clinchers tendent à l’ouvrir en deux moitiés. 

« Nous devons raisonner non pas quant aux seules qualités du pneu, mais quant à la combinaison qu’il forme avec la jante », explique Emmanuel Brunet, en charge de la cellule Recherche & Performance à la FFC, et « pour l’heure, le boyau Vittoria est ce qu’on a trouvé de plus performant, le meilleur compromis. » Précisons que la sélection s’est effectuée dans le cadre du programme THPCA, au moyen d’un banc de mesure installé dans le labo de l’école Polytechnique : une roue en bois contre laquelle tourne la roue de vélo dûment gonflée et chargée, qui permet de mesurer le couple rotatif. 

La composition de la gomme est un autre point crucial qui se présente comme un compromis entre les deux exigences a priori contradictoires que sont l’abaissement de la résistance au roulement (on sait par exemple que le graphène, qui entre dans la composition de certains farts pour le ski, favorise le glissement, et donc le roulement) et l’adhérence en virage. De fait on distingue souvent sur la chape une bande centrale ( gomme plus dure, plus roulante) et deux latérales (gomme tendre, plus « accrocheuses »). 

Autre question, d’après Emmanuel Brunet selon qui, contrairement à ce qui se passe en compétition automobile, le pneu ou le boyau idéal pour la haute performance n’existe pas. « C’est logique, les équipementiers travaillent pour le grand public, et cherchent le meilleur compromis pour des allures de 30 à 45km/h. Or, l’élite mondiale roule entre 40 et 60 sur la route, et 60 à 80 sur la piste. » 

La chaîne 

Plutôt que de chaîne on parlera plus largement de « transmission. » Quand on parle de transmission d’un vélo on désigne l’ensemble pédalier, chaine, cassette et dérailleurs. Tout le système. Lequel, sur un vélo de piste, se résume à une chaine et deux couronnes (un plateau, un pignon) : la transmission (au sens littéral) d’énergie est d’autant meilleure que le système est plus simple. 

Pas de question d’alignement de chaine comme sur un vélo de route : sur la piste, si l’alignement n’était pas bon, on déraillerait, tout simplement. De la même façon que les pneus, toutes les chaines et les couronnes du marché ont été testées dans le cadre de THPCA, et aucune différence significative d’efficacité n’a pu être démontrée. 

En revanche, la tension de chaine et la lubrification ne doivent pas être négligées – voire, sont des éléments-clés

Concernant la chaine, on sait d’expérience qu’il faut qu’elle présente un « brin tendu » (la partie supérieure) et un « brin mou » : un doigt appuyant du bas vers le haut sur la partie inférieure de la chaine doit pouvoir la remonter d’environ 1cm. C’est une question de doigté. Une chaîne trop tendue, sans brin mou, crée une résistance au pédalage. Il y a donc un seuil de tension à ne pas dépasser. 

Si aucune différence significative n’a été mise en évidence d’une chaîne à l’autre, la lubrification est un point important. « Nous avons regroupé toutes les études disponibles, dit encore Emmanuel Brunet, et sélectionné un panel de produits lubrifiants. Et à notre grande surprise, nous avons constater un effet, une économie de 3 ou 4 watts. Sur une performance chronométrée au 1/1000e de seconde ça n’est pas négligeable. La solution la plus efficace est une cire chaude, dans laquelle on immerge la chaine. On la ressort, on laisse sécher et on essuie. Il y a des torsions autour des rouleaux dans chaque maillon et des frictions entre les plaques superposées, il faut que la cire s’y infiltre. » 

Pour un routier à plus forte raison, il est crucial d’entretenir régulièrement sa chaine. Une chaine sale peut coûter cher : même optimisée, en parfait état, la transmission peut absorber 2% de l’énergie produite par le cycliste. Pour un athlète roulant à 500W sur un chrono, ça fait déjà 10W « avalés » par la transmission. Si la chaine n’est pas entretenue ce coût sera doublé : 4%, soit 20W pour 500W. Il est absurde de perdre par négligence ces 10W qu’on aura gagné au prix d’une année d’entrainement acharné. Ne pas nettoyer et entretenir sa chaine, c’est donc dilapider les progrès qui nécessitent plusieurs mois d’entrainement. 

Enfin, la chaine s’enroulant autour, le rayon des couronnes et pignons joue sur l’angle de fermeture des maillons. Ainsi certaines combinaisons coûtent plus cher que d’autres en termes énergétiques. Par exemple, il semble contre-productif de choisir des pignons trop petits car l’angle entre les maillons se referme excessivement, créant un effet de cisaillement et des frictions excessives. Il vaut calculer son braquet avec un pignon de 15 ou 16 – donc en utilisant de grands plateaux :  60×15 est plus économe que 48×12. 

C’est encore plus vrai sur la route. Car sur les pignons de droite, de 10, 11 ou 12 dents, outre le coude imposé à la chaine vue de côté, il y a la torsion. Il est donc toujours plus efficace de rester en milieu de cassette, entre 15 et 18 par exemple.