Les secrets du LOOK P24
La monture des pistards français pour les prochains Jeux Olympiques n’est pas seulement une expérience esthétique radicale. C’est avant tout une machine d’une efficacité aérodynamique redoutable. Voici pourquoi.
Le projet remonte à septembre 2021 : au retour des Jeux de Tokyo, il s’agissait, pour les ingénieurs de LOOK, d’améliorer encore le vélo utilisé par les pistards français. En d’autres termes, de viser déjà vers les Jeux de Paris, et de remplacer le LOOKT20 par le futur LOOK P24.
Le cahier des charges fut donc établi à partir du retour d’expérience des athlètes aussi bien que des mécaniciens. Il fallait donc se baser sur les aspects ou les qualités du LOOK T20 qui devaient être conservés, pour définir par défaut les possibilités d’amélioration. Or, la géométrie et le comportement du vélo donnaient entière satisfaction, tout comme le ratio poids-rigidité.
De fait, c’est l’aérodynamique qui faisait figure de feuille de route. Et de ce point de vue, la piste à suivre tombait sous le sens : les études aérodynamiques ayant présidé à la conception du LOOKT20 avait pris pour objet le vélo seul. « Il fallait s’intéresser à l’aérodynamique, non pas du vélo isolément, mais bel et bien à celle du couple homme-machine, pris dans sa globalité. L’athlète à lui seul représente 80 à 85% de la trainée aérodynamique », précise Jérôme Billiet, ingénieur composite en charge du projet.
Avant toute mise en production, il importait donc de concevoir la forme du vélo – c’est-à-dire, de la déduire de la forme idéale du couple homme-machine. Pas moins de 1300 heures de calculs CFD (simulation numérique remplaçant les heures de soufflerie) seront nécessaires à l’élaboration de 33 versions successives du futur châssis.
De la simulation numérique…
La simulation numérique permit ainsi de modifier le cadre partie par partie. Les calculs furent effectués sur la base d’une vitesse de déplacement de 70km/h, ce qui correspond à l’effort d’un sprinter de haut niveau, chaque mesure étant dédoublée selon deux angles d’incidence de 0 et 3°. La raison en est simple. Car il n’y a pas de vent sur piste au sens commun du terme, hormis celui créé par une telle vitesse. Lequel, qui plus est, ne souffle pas toujours de face, si l’on considère la force centrifuge s’appliquant dans les virages et l’inclinaison consécutive du couple homme-machine. Précisons à toute fin utile que cet angle très mince confirme la vocation du LOOK P24, qui n’est pas prévu pour être « décliné » sur route, mais bel et bien conçu exclusivement pour la piste.
Le résultat obtenu est pour le moins spectaculaire au plan visuel. La fourche montre un très large épaulement, et conséquemment des fourreaux très distants l’un de l’autre. Même chose à l’arrière pour les haubans, dont l’écartement s’aligne sensiblement sur les premiers.
Bien sûr, à l’avant comme à l’arrière cet écartement vise à aligner dans le même flux d’air les fourreaux de fourches, les jambes en action du cycliste et les haubans, et donc à minimiser les systèmes de turbulences localisés en arrière de la fourche et autour des jambes.
La tige de selle dédoublée a la même raison d’être : elle facilite considérablement l’écoulement d’air entre les jambes, où les turbulences sont fortes en configuration classique.
… à la soufflerie
Après l’étape CFD, les ingénieurs ont construit une maquette en impression 3D, pour affiner le travail sur les formes. Sur un squelette acier, ils ont imaginé divers éléments de profilage aimantés et remplaçables. Ainsi est-on passé de la soufflerie virtuelle à la soufflerie physique – en l’occurrence, à l’IAT de Saint-Cyr l’école, en collaboration avec la cellule Recherche & Performance de la FFC.
En matière d’aérodynamique on considère que la résistance de l’air se manifeste de deux façons : il s’écoule et « frotte » contre les surfaces (dont la qualité, lisse ou rugueuse, conditionne la qualité du flux) mais il fait aussi pression frontalement contre le sujet qui avance. Ainsi la réduction de la surface frontale réduit-elle cette pression, améliorant l’aérodynamique. C’est pourquoi l’abaissement du buste, le positionnement de la tête et des épaules est si important. Tout ce qui consiste à faire rapprocher les coudes réduit la surface frontale. C’est pourquoi le cintre « vitesse » (destiné aux épreuves de sprint) présente un flair rentrant : l’orientation des poignets en supination, quand les mains sont au creux du cintre, induit un rapprochement des coudes.
Le gain aéro ne tient pas au cintre en lui-même, mais à la position qu’il induit.
Ainsi, le gain global qui, en configuration sprint était estimé entre 40 et 50 Watts par rapport au LOOK T20, est-il augmenté à 91 Watts grâce à la position impliquée par le cintre vitesse !
Deux autres cintres ont été dessinés : un pour la Madison (qui ménage plusieurs possibilités de prise) et un cintre de poursuite. En poursuite on estime le gain à 26 Watts, ce qu’on peut évaluer à 0,2 seconde par tour de piste, soit environ 3,5 secondes sur la totalité d’une poursuite.
Le reste, l’essentiel, c’est aux ressources de nos athlètes qu’on le devra !