Équipe de France

Audrey Cordon Ragot, pilier de l’Équipe de France.

Audrey Cordon

Depuis quinze ans elle porte le maillot de l’Équipe de France et elle en incarne les valeurs. Audrey Cordon-Ragot prend sa retraite sportive cet automne. Au-delà (ou en deçà) des performances de la redoutable rouleuse, la Bretonne laissera l’empreinte d’une femme de convictions qui a défendu les intérêts de son sport avant les siens propres.

Il y a deux façons d’évaluer les champions. La première est la plus évidente, elle est objective, quantitative : c’est le palmarès. La seconde concerne la façon dont ce dernier s’incarne, la personnalité de celui ou celle dont il compile les résultats.  

Tirant sa révérence au terme d’une carrière exemplaire (c’est le mot juste) de plus de 15 ans, Audrey Cordon-Ragot peut d’abord se targuer d’un magnifique pedigree : elle a gagné une fois en World Tour, collectionné une douzaine de titres de championne de France (dont 7 contre-la-montre) et un titre européen en relais mixte. 

Fière de porter le maillot

Mais au-delà des titres ou du statut, c’est le personnage qui laissera un vide dans le peloton et, plus encore, dans les rangs de l’Équipe de France dont elle fut l’inamovible pilier. « Depuis ses débuts, elle n’a manqué que très peu de campagnes ou de championnats, dit Paul Brousse, le sélectionneur national. Mais je ne saurais pas dire combien elle compte de sélections en équipe de France : trente ? quarante ? » Le nombre, d’ailleurs, l’intéressée s’en fiche un peu : « Je n’ai pas fait le calcul, balaie-t-elle. Ce qui importe c’est que j’ai toujours été fière de porter ce maillot, et je me suis toujours fait un devoir de l’honorer. »  

À l’heure d’évoquer le parcours d’Audrey Cordon-Ragot, personne ne manque de mentionner sa détermination de fer ou sa générosité dans l’effort. « J’étais CTR en Bretagne, raconte Julien Thollet, j’encadrais un stage cadets quand je l’ai vue arriver, et j’avais immédiatement remarqué son caractère bien affirmé. » 

Fort(s) caractère(s)

De fait, le fort caractère de la Bretonne est sur toutes les bouches, et prend plusieurs formes. Effronterie, témérité, quand Paul Brousse se souvient d’un grand prix Samyn où la neige tombait drue dès avant le départ : « Audrey et Pascale Jeuland avaient voulu jouer les guerrières et, contre nos conseils, avaient pris le départ manches courtes. Ça n’a pas manqué : à peine passé le départ fictif, elles étaient dans la voiture. Mais le soir à l’hôtel, pour compenser ou se punir, Audrey s’est imposé deux heures de home-trainer. » 
Sens du sacrifice aussi, quand il évoque la formidable équipière qu’elle fut pour les plus grands noms du cyclisme, telles Elisa Longo Borghini ou Ellen Van Dijk. 

Mais surtout résilience, tant elle impressionna son monde après avoir été victime d’un AVC à la veille de s’envoler pour l’Australie, où se disputaient les championnats du monde 2022. On dit, elle dit, que frôler le pire vous ouvre les yeux, et vous apprend à apprécier de vivre. Quoi qu’il en soit elle se remet, s’accrochant d’abord à la simple idée de remonter sur un vélo, puis à celle de redevenir compétitive. Ainsi en 2023 le titre de championne d’Europe (et de vice-championne du monde) du relais mixte fut-il chargé d’une émotion toute particulière, pour elle mais aussi pour tout le staff de l’Équipe de France. « J’ai vu dans le regard des autres qu’ils étaient heureux de partager ça avec moi », dit-elle. 

Souci d’autrui et revendication

Des autres, justement, elle a toujours eu le souci. Et, au-delà de l’athlète au franc-parler, il y a la militante. Elle l’affirme sans fard ni fausse pudeur : « Pour être un très grand champion il faut cette part d’égoïsme qui ne me caractérise pas du tout. J’ai souvent utilisé mon énergie pour les autres, en défendant la cause d’un cyclisme féminin qui a considérablement progressé sous tous les aspects depuis 15 ans. Je pense que j’ai porté ma petite pierre à l’édifice », dit celle qui se souvient avoir « cassé les pieds de Bernard Bourreau, parce que nous, les filles, contrairement aux hommes n’avions pas de socquettes dans notre paquetage. Ça peut sembler un détail, mais c’est très significatif d’une mentalité qui peinait à évoluer. J’ai été chieuse ce jour-là, je le sais bien, mais c’était légitime. » 

Ce tempérament enflammé n’a cependant rien d’irréfléchi, il n’obscurcit pas sa lucidité. Si elle supporte mal la cohorte des « entraîneurs depuis leur canapé » qui pullulent sur les réseaux sociaux, elle a toujours respecté l’institution-Équipe de France, et « toujours accepté, même si je n’étais pas forcément d’accord, les décisions du sélectionneur, que ce fût Gérard Brocks ou Paul Brousse aujourd’hui. » 

Avec sa retraite sportive, c’est une page qui se tourne pour l’Équipe de France féminine.