Frictions, frottements : choisir et entretenir son matériel

Le cycliste peut être envisagé comme une machine thermique. Il produit de l’énergie qu’il transforme en mouvement. Mais un certain nombre de forces s’opposent à ce mouvement, limitant sa vitesse de déplacement. Indépendamment de la résistance liée à l’écoulement de l’air, de loin la plus coûteuse en énergie, les frictions et frottements qui contrarient sa progression sont générés au niveau du pneumatique en contact avec le sol, de la transmission, et des roulements.
Société de consommation oblige, nous assistons régulièrement à la mise en avant d’un nouveau matériel toujours plus performant, censé permettre à ses utilisateurs d’économiser de précieux watts… mais à quel prix !
Qu’en est-il vraiment, en dehors des effets marketing ?
Détaillons les frictions mécaniques qui, au-delà de celles liées à l’écoulement de l’air, freinent encore le cycliste. Et voyons dans quelle mesure il est possible de les atténuer.
Sur le vélo, nous pouvons recenser 3 trois types de frictions mécaniques :
- La résistance au roulement, due au contact entre le sol et le pneumatique.
- La résistance de la transmission (plateau, chaîne, pignon et roulettes de dérailleur)
- La résistance des roulements (roues, pédalier, pédales…)
Le pneumatique en question
La résistance au roulement du pneumatique est l’une des plus importantes de celles qui freinent le cycliste. La surface de contact du pneu avec le sol génère une friction et crée une résistance à l’avancement. Pour la réduire, il existe une stratégie simple que tout cycliste connait : augmenter la pression du pneumatique ! En effet, plus le pneumatique est gonflé, plus la surface de contact diminue, et la friction avec.
Cependant, il y a des effets collatéraux à l’augmentation de la pression : elle tend vers la perte d’adhérence, et augmente donc le risque de chute. Il existe donc une pression à ne pas dépasser dont la limite est d’autant plus basse que les conditions d’adhérence sont dégradées – par exemple, en cas de chaussée mouillée. Les vibrations, également, liées à la qualité du revêtement, compromettent l’adhérence et obligent à baisser la pression. Les pavés représentent la situation la plus délicate de ce point de vue. Sur Paris-Roubaix par exemple, certains équipementiers recommandent des pressions de l’ordre de… 3 bars !
Récemment, les vélos de route se sont vus chaussés de jantes et pneus plus larges. Plus larges, les pneus présentent une section plus ronde, ce qui diminue la surface de contact avec le sol à pression égale : on peut donc se permettre de descendre la pression sans diminuer le rendement. Et dans les virages, lorsque le cycliste se penche, la pression moindre autorise une déformation qui augmente la surface de contact. « Tout bénef’ » !

Enfin, la composition des gommes et les motifs ciselés sur la chape ont une incidence importante. En hiver il est courant de changer ses pneus de voiture pour des gommes plus tendres, qui se comporteront mieux en conditions froides et humides, d’autant mieux que les dessins favorisent un meilleur écoulement de l’eau. La composition de la gomme est un autre aspect crucial qui se présente comme un compromis entre les deux exigences contradictoires que sont l’abaissement de la résistance au roulement (on sait par exemple que le graphène, qui entre dans la composition de certains farts pour le ski, favorise le glissement, et donc le roulement) et l’adhérence.
De fait on distingue souvent sur la chape une bande centrale (gomme plus dure, plus roulante) et deux latérales (gomme tendre, plus « accrocheuse »). Ainsi, le gain de performance d’un pneumatique bien choisi pour ses qualités, avec un gonflage optimal est loin d’être marginal. Y compris sur des pneumatiques haut de gamme, il peut exister une différence d’une dizaine de watts sur un effort à 45 km/h entre deux configurations. Pas de miracle, hélas : les pneumatiques les plus performants restent les plus couteux. Cependant, il est possible de faire de grandes économies à long terme :
- Utiliser des pneumatiques à faible rendement à l’entraînement. Une couche épaisse de gomme protègera davantage des crevaisons également .
- Disposer de deux paires systématiques de pneumatiques : 1 paire dédiée à la pluie avec une gomme tendre et des dessins favorisant l’évacuation de l’eau, et 1 paire dédiée aux conditions météo clémentes et aux revêtements de bonne qualité.
En fonctionnant ainsi, les pneumatiques auront une plus grande durée de vie, le coureur sera plus en sécurité et cela peut aussi contribuer à surveiller et éliminer la présence d’éventuels petits silex qui peuvent coûter cher également à notre performance du dimanche !
La transmission
C’est un fait, 2 à 4 % de l’énergie produite par le cycliste se dissipe dans la transmission. C’est probablement à ce niveau que le marketing fait les plus grands ravages des porte-monnaie des cyclistes et parfois des équipes. Il convient donc de (r)établir les vérités.
Pour cela, nous nous appuyons sur deux sites d’étude en France : l’INSA de Lyon qui a accompagné les Équipes de France pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, et le laboratoire FEMTO de Besançon, associé avec le producteur de lubrifiants AFULUDINE, sous la marque Winsleek. Les études réalisées ont appliqué les standards scientifiques de tribologie (science des frottements) et ont permis de tirer les conclusions suivantes :
- La pollution d’une transmission coûte énormément d’énergie ;
- La taille des plateaux/pignon influence le rendement ;
- La tension de chaîne a un impact complexe sur le rendement ;
- Les qualités de surface, les formes des dentures impactent peu le rendement ;
- La lubrification a un impact très variable selon les marques ;
- L’alignement impacte le rendement mais tolère quelques millimètres toutefois,
Ainsi, il n’est tout d’abord pas conseillé de dépenser des fortunes pour disposer des plateaux, pignons ou chaînes les plus performantes. Cela n’impacte quasiment pas la performance !
De fait, les plus grandes pertes proviennent de l’absence d’entretien et de l’encrassement du système. Le seul impératif, c’est de nettoyer régulièrement la chaîne et la cassette pour qu’il n’y ait pas de sable, de poussières ou d’autre contaminant. Il serait absurde de perdre par négligence les 10W qu’on aura gagné au prix d’une année d’entrainement acharné. Ne pas nettoyer et entretenir sa chaine, c’est donc dilapider les progrès qui nécessitent plusieurs mois d’entrainement.
Se pose donc la question des lubrifiants. On en distingue deux types : les huiles, et les cires. Par tradition, nous utilisons de l’huile. Certaines sont très performantes, mais dans tous les cas, elles favorisent la pollution, qui s’y agglomère. Or, les cires, et surtout les cires chaudes, utilisées plus récemment ont permis d’observer des gains de performance. Et, double effet, elles sont moins propices à la pollution. Ainsi une chaine « waxée » aura une meilleure durabilité. Le plus gros inconvénient consiste dans l’application de la cire, qu’il faut chauffer, et appliquer sur une chaine parfaitement dégraissée (le nec plus ultra est d’utiliser des machines à ultra-son). Ensuite, il convient de rôder cette chaîne entre 50 et 100 km.

Enfin, la chaine s’enroulant autour, le rayon des couronnes et pignons joue sur l’angle de fermeture des maillons. Ainsi certaines combinaisons coûtent plus cher que d’autres en termes énergétiques. Par exemple, il semble contre-productif de choisir des pignons trop petits car l’angle entre les maillons se referme excessivement, créant un effet de cisaillement et des frictions excessives. Il vaut mieux calculer son braquet avec un pignon de 15 ou 16 – donc en utilisant de grands plateaux : 60×15 est plus économe que 48×12.
C’est encore plus vrai sur la route. Car sur les pignons de droite, de 10, 11 ou 12 dents, outre le coude imposé à la chaine vue de côté, il y a la torsion. Il est donc toujours plus efficace de rester en milieu de cassette, entre 15 et 18 par exemple.
Cela étant, ne rêvez pas de gagner de nombreux watts sur votre transmission. Avec toutes les optimisations possibles, vous gagnerez… 5 à 6 Watts ! En revanche, vous pouvez en perdre une dizaine par défaut d’entretien.
Les roulements
Concernant les roulements, nous touchons à un aspect presque psychopathologique (la névrose obsessionnelle) de la vie des cyclistes. Tout cycliste ou tout mécanicien qui se respecte va faire tourner dans le vide la roue pendue pour s’assurer qu’elle ne s’arrête pas de tourner, et que les roulements sont donc parfaits. Or, c’est un contresens que de fonctionner ainsi ! Le principe d’un roulement est de transmettre les forces et si nous voulons donc en mesurer son efficacité, il s’agit donc de « charger » le roulement, c’est-à-dire d’appliquer une force qu’il va devoir transmettre.
Lorsque les roulements sont neufs et bien montés, ils appliquent très fidèlement leur rôle de transmission des forces et vont ainsi favoriser le mouvement. Très peu d’énergie est perdue.
Par contre, dès qu’un roulement est abîmé, les frictions peuvent devenir importantes et générer des pertes non négligeables. Deux sources en sont généralement à l’origine :
- La rouille des composants. Lors du lavage, où lors des intempéries, de l’eau s’infiltre et reste au contact des pistes et des billes.
- L’intervention intempestive de démontage/remontage, voire modification interne.

Pour se prémunir de la rouille, il est important de garder l’étanchéité des roulements (ne pas faire sauter le joint d’étanchéité) et de penser à souffler après lavage à proximité des roulements pour que l’eau s’évacue.
Pour le second, il est presque illusoire de croire que les cyclistes vont être plus performants en modifiant leurs roulements. Cela demande une R&D très importante et risque de vous ruiner pour gagner 1 à 2 watts, dans le meilleur des cas. Souvent, le manque d’outils adaptés pour démonter/remonter dégradera la fonction du roulement et créera des points d’accroche à l’origine de plus grandes frictions. Bref, le gain escompté au départ peut vite devenir une perte.
Ainsi, ne démontez vos roulements que si vous êtes équipés des outils adéquats et que si vous pensez nécessaire d’intervenir car vos roulements semblent abîmés. A ce sujet, lorsque l’on ressent du jeu ou qu’on enregistre un bruit de vibration au niveau de roulement, c’est probablement qu’il faut en changer car il est attaqué par la rouille. Dans tous les cas, n’ayez pas peur de la graisse qui va protéger l’ensemble des composants.
Une fois monté, vous pouvez contrôler l’absence de jeu et la capacité à transmettre en appliquant des forces dans tous les sens (axial, tangentielle, radial…)
*Par Emmanuel Brunet.