Aérodynamique : le rôle crucial du textile 

Les études aérodynamiques sont aussi complexes que cruciales. Elles permettent de gagner de précieuses secondes en précisant la meilleure position, le meilleur vélo, et les meilleurs textiles possibles.

test soufflerie manequin

Voici comment la cellule Recherche & Performance de la FFC et ses partenaires ont conçu la combinaison que porteront les cyclistes français lors des prochains Jeux Olympiques.

La sophistication des chronomètres, cette capacité à mesurer la performance au millième de seconde a conféré une importance considérable à ce qui en avait peu. Au point qu’au sens strict du terme, il n’est plus de gain « marginal » et que le moindre détail de la préparation pèse lourd quant à la possibilité d’aller chercher une médaille. 

Parmi les nombreuses voies qu’emprunte cette quête du « crucial infinitésimal », l’amélioration de l’aérodynamique vient facilement à l’esprit. Après tout chacun sait qu’il faut « baisser la tête pour avoir l’air d’un coureur. » Mais de quoi parle-t-on exactement, et en quoi consiste une meilleure aérodynamique ? 

L’aérodynamique, c’est quoi ? 

Pour un cycliste l’aérodynamique c’est l’art de rouler plus vite à puissance équivalente. Or, accélérer sans surcroît de puissance implique d’abaisser la résistance qu’on oppose à l’air. Laquelle requiert jusqu’à 90% de l’énergie totale produite par le cycliste à 45km/h. Cette résistance se décompose entre pression et frottement. Réduire la pression suppose de diminuer la surface frontale du corps en déplacement (le cycliste vu de face). Quant à la réduction du frottement, elle consiste à faciliter l’écoulement ou le glissement de l’air sur les surfaces du corps. Le SCx est le produit de la surface frontale S par le coefficient de trainée (ou de forme), et il faut l’abaisser pour augmenter sa performance aérodynamique. 

Posture et surface frontale 

On comprend aisément comment réduire la surface frontale d’un cycliste : abaisser le buste et la tête, rapprocher ses bras l’un de l’autre et les placer devant le torse. Il s’agit de se faire étroit, façon spéléologue ! On comprend que cette partie renvoie directement à un travail sur la posture du cycliste – dans le respect du règlement, puisque toutes les positions ne sont pas autorisées. Il suffit de repenser aux deux positions successivement adoptées (et successivement interdites par l’UCI) par le génial Graham Obree. Qu’il repliât ses bras sous le buste mains aux épaules ou qu’il les allongeât devant lui dans sa fameuse position « superman », dans les deux cas il s’agissait de réduire la surface frontale pour mieux pénétrer l’air.  

Surface(s) de frottement 

Mais, on l’a dit, la surface frontale n’est pas tout. Il faut améliorer le coefficient de trainée, et faute de pouvoir modifier la morphologie du coureur à coups d’appendices profilés (comme on le fait par exemple en ski de vitesse, en profilant les bottes), c’est en jouant sur la qualité des surfaces qu’on cherchera à abaisser la quantité de frottement. Toujours à 45km/h, cette qualité des surfaces recouvrant (ou pas) le corps d’un cycliste est susceptible de faire varier sa trainée aérodynamique de 5%. Or bien sûr, la surface totale du corps du cycliste se partage entre peau et vêtement : voilà pourquoi une étude aérodynamique consiste à concevoir le meilleur vêtement possible (combinaison, chaussettes et/ou couvre-chaussure.) 

On pourrait imaginer que le but soit de réduire uniformément la résistance au frottement, en couvrant tout le corps du cycliste du textile le plus lisse possible, à tout le moins celui qui oppose la plus faible résistance à l’écoulement de l’air. 

Ce serait ignorer la complexité de la question. Car ce qu’il faut réduire c’est la trainée globale du couple homme machine, soit une architecture très complexe, où l’air s’engouffre et rebondit de façon d’autant plus inextricable qu’elle est instable car en mouvement.

Le pédalage et la rotation des roues compliquent encore cet indéchiffrable entrelacs de turbulences aériennes dont résulte la trainée globale. L’air s’engouffre entre les fourreaux de fourche et les roues, entrant en conflit avec l’air brassé par les rayons, il doit aussi se frayer un passage entre les jambes mobiles, ce qui est particulièrement difficile au niveau de la tige de selle, puis il vient se briser sur les haubans et sur les turbulences créées par la roue arrière, etc. (C’est pourquoi, soit dit en passant, l’étude aérodynamique d’un vélo en tant que tel est peu pertinente : on a rarement vu un vélo se déplacer sans cycliste.) 

Pour influer sur la traînée globale, il convient donc, certes, de faciliter le glissement de l’air sur certaines surfaces, mais aussi de le détourner localement. En d’autres termes, le vêtement le plus aérodynamique du cycliste se partagera entre surfaces lisses majoritaires et surfaces rugueuses, chargées de détourner localement le flux d’air pour améliorer son écoulement global. L’étude aérodynamique reviendra alors à cartographier en 3D la surface du corps pour déterminer les zones où il est souhaitable que l’air glisse-contre, et celles où il convient d’en décrocher le flux. 

De l’utilité des mannequins 

Depuis longtemps, les équipes de France de cyclisme font des tests en soufflerie à la recherche de la meilleure position et des meilleurs accessoires (le casque notamment) possibles. C’est même déjà à l’IAT (Institut Aérotechnique) de Saint-Cyr l’École, où la cellule Recherche & Performance de la FFC a établi ses quartiers, que Bernard Hinault cherchait à parfaire sa position. Plus récemment cette collaboration avec l’IAT a été renforcée, dans le cadre d’un programme THPCA mobilisant des compétences ô combien précieuses, issues de Polythechnique, de l’ENS Lyon, de l’INSA. 

Faire venir les coureurs à la soufflerie, c’est bien. Mais les études aérodynamiques exigent de patientes, voire interminables comparaisons, et il n’est pas toujours évident pour les athlètes d’y consacrer de longues journées. C’est ainsi qu’est née l’idée de fabriquer des mannequins. Le projet remonte à 2017. Un étudiant de l’INSA Toulouse scannait alors quelques athlètes, et on fit fabriquer une effigie grandeur nature de Sébastien Vigier. Les enseignements tirés de son usage concernent surtout la zone du tronc et des bras, mais sont insuffisants pour ce qui concerne le bas du corps : on l’a dit, la circulation de l’air entre les jambes ne peut s’étudier qu’en mouvement. Il faut construire un mannequin articulé, mobile, ce que ne permet pas le matériau d’abord utilisé. 

La part des chaussettes 

« Par ailleurs, explique Emmanuel Brunet, directeur de la cellule Recherche & Performance de la FFC, nous voulions travailler à partir d’une autre forme, d’une autre posture, celle d’un poursuiteur. » C’est Georges Soto Romero (LAAS-CNRS) et Anthony Costes, avec les moyens de la société Alten qui scannent Benjamin Thomas, dont l’effigie sera articulée. Charge à Philippe Odier (ENS Lyon) et à Antoine Evrard (IAT-CNAM) d’optimiser le choix des textiles, en fonction de la lisseur ou de la rugosité désirable. 

Préciser la part des jambes dans la trainée globale, c’est réfléchir sur l’aérodynamique des cylindres (figurant les segments des jambes – et des bras.)

Il est logique que la quantité de frottement aérien sur les bras et les cuisses soit fonction de leur circonférence, ainsi que de la vitesse considérée.

L’étude a permis d’éclaircir certains points cruciaux. Le règlement ne permet pas de couvrir l’intégralité du corps du cycliste, mais il est clair que pour abaisser le Cx il faut couvrir la peau des bras et des jambes sous le genou. Le fameux débat sur la hauteur des chaussettes ne se limite donc pas aux considérations esthétiques. Il n’est pas anodin que lors des courses contre-la-montre certains athlètes portent des chaussettes plus hautes que le règlement l’autorise. Selon ce dernier en effet, la chaussette ne doit pas monter au-delà du point de mi-distance entre la tubérosité du plateau tibial et la malléole externe. Au niveau du tibia, l’optimal aérodynamique est « d’ouvrir » plus largement le flux d’air en décrochant l’écoulement par l’utilisation d’un tissu rugueux. Ainsi une étude en soufflerie a montré qu’augmenter la rugosité de la surface sur la partie haute de la jambe (avec une chaussette couvrant tout le tibia) permettait de réduire la trainée aérodynamique de 1,5%, et de gagner environ 3s/10km. Sur une poursuite le gain serait ainsi de l’ordre de 1,2’’ sur une poursuite de 4km ; et sur chrono comme celui des prochains Jeux Olympiques, d’au moins 9’’ (probablement plus car la vitesse moyenne sera bien supérieure à 45km/h – et même, eu égard au profil et à la distance, supérieure à 55.) 

La bonne combinaison 

Insistons sur le fait qu’une tenue n’est pleinement efficace qu’à vitesse-cible : une combinaison peut s’avérer tout à fait moyenne à 40km/h et excellente à 50. En poursuite olympique, les femmes roulent à 60 de moyenne, et les hommes 65, avec des pointes à 70 pour les meilleurs. « Ce qui est certain, c’est qu’entre une bonne et une mauvaise tenue on peut gagner ou perdre beaucoup : de l’ordre de 8 sec/10km, soit 3sec sur une poursuite de 4km, et 0,15sec sur 200m. Ne pas mener ce travail, alors que toutes les nations cherchent en ce sens, reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Typiquement, les JO de Londres en 2012 ont mis en évidence une avance technologique très concrète des Britanniques », commente Emmanuel Brunet. 

Enfin, puisque le règlement oblige à la nudité partielle des jambes, posons l’immémoriale question : et le poil, dans tout ça ? Se raser les jambes est-il justifiable par le souci aérodynamique ? Eh bien, oui : à la lumière de ce qui précède, on comprend que la peau lisse est souhaitable, sauf peut-être à l’avant du tibia où un bandeau de poil bien épais pourrait jouer un rôle favorable.  

Avis aux amateurs (et aux professionnels) !