Championnats du Monde

Paul Seixas et la révolution culturelle du contre-la-montre

paul seixas champion du monde contre la montre

À Zürich, Paul Seixas est devenu champion du monde juniors du contre-la-montre. Plus qu’une performance, une petite révolution culturelle dans le cyclisme français, qui manquait de résultats dans la discipline.

En devenant le premier Français champion du monde juniors du contre-la-montre, hier à Zürich, Paul Seixas a fait plus qu’une très grande performance. Selon les mots d’Emmanuel Brunet, en charge de la cellule « recherche & performance » à la FFC, « il a mis fin à une anomalie. »
Le coureur d’AG2R Decathlon U19 apporte la preuve qu’on a tort de réputer la France incapable de produire de grands rouleurs.

Une position de chrono : souci du détail et long travail d’adaptation.

Il n’en reste pas moins que pour trouver une médaille française dans la spécialité, il fallait remonter à 2006, année où Étienne Pieret et Tony Galopin décrochèrent l’argent et le bronze.

Pourtant la France n’a jamais manqué de talents, et le palmarès des courses lignes en témoigne : depuis 2002, Arnaud Gérard, Johann Le Bon, Olivier Le Gac, Pierre-Henri Lecuisinier furent champions du monde juniors – et plus près de nous Romain Grégoire échoua de peu à la deuxième place.

Mais contre-la-montre, il faut bien le dire, nos coureurs étaient absents des podiums. Cela fait plusieurs années que la FFC est consciente du problème et travaille à le résoudre. « On s’est beaucoup demandé comment développer le chrono, explique Julien Thollet, l’entraineur des juniors français. On a essayé d’actionner tous les leviers, notamment en insistant auprès des organisateurs, pour essayer d’acculturer les jeunes et les clubs à cette pratique. Il est difficile d’évaluer le résultat de cette démarche. Ce qui est sûr, c’est que sur le savoir-faire en termes de performances, on n’a pas grand-chose à envier à nos concurrents. »

Une discipline très technique

Ainsi les compétences techniques du staff français sont-elles incontestables. Les études aérodynamiques entreprises dans le cadre du programme THPCA en sont la preuve la plus récente. Paul Seixas raconte avoir beaucoup travaillé sa position avec Aéroscale en vue d’abaisser son SCx, jusque dans les moindres détails : « Récemment nous avons remonté le cockpit de 2,5cm, ça me permettait d’avoir vraiment le nez dans les prolongateurs. J’ai aussi remplacé la visière du casque par de simples lunettes : chaque détail compte en matière d’aéro. »

La meilleure position aérodynamique réclame aussi un long travail d’adaptation, il faut apprendre à la tenir au plus dur de l’effort. Le nouveau champion du monde junior confesse « 2 à 4 séances par semaine sur le vélo de chrono » et y faire ses intensités. « Je sais que ça marche, ajoute-t-il. Je l’avais fait avant les France, avant les Europe, avant le Giro della Lunigianna. »

Car l’autre dimension technique primordiale du contre-la-montre, c’est le pacing (l’allure, le rythme, en anglais). Gérer son allure dans un chrono, c’est tout un art – ou une science, plutôt.

« Une très grande part de l’énergie produite par le corps se dissipe sous forme de chaleur, et si l’effort est linéaire cette part devient de plus en plus importante au fil des kilomètres, explique Emmanuel Brunet. Plutôt que de viser une puissance constante – la puissance qu’on se sait capable de tenir sur la durée de l’épreuve – il vaut mieux opérer en negative split : schématiquement, partir 5 à 10 watts sous cette puissance cible, s’y hisser à mi-parcours et finir au-dessus. C’est beaucoup plus rentable, et c’est la stratégie qu’a adopté Paul. »

Une question culturelle ?

Mais si la technique est connue des staffs de l’équipe de France, la question est d’autant plus aigüe : comment se fait-il que nos coureurs aient si peu performé en chrono ces dernières décennies ?
Julien Thollet y voit une question de culture : « Nous Français, nous avons la culture de la course en ligne, nous aimons la confrontation au coude-à-coude. »

En France, le cyclisme est un sport de combat !

Emmanuel Brunet renchérit : « En France nous vivons le vélo presque comme un sport collectif, et il est vrai que la course en ligne est toujours privilégiée dans la façon dont nous abordons les évènements. C’est une question de mentalité. Physiologiquement, il n’y a pas de différence entre l’effort contre-la-montre et l’effort consenti dans un col. Les Suisses sont un bon contre-exemple, qui ont toujours sorti d’excellents spécialistes, de Rominger à Küng en passant par Cancellara, alors qu’ils n’ont pas plus d’épreuves que nous au calendrier. »

Il est donc vraisemblable que dans certains pays, les athlètes aient plus de goût à s’entraîner isolément qu’en groupe – ou qu’ils y soient contraints (par l’échelle du pays par exemple.) Le rapport à l’effort solitaire s’enracine aussi, possiblement, dans le rapport plus profond qu’on entretient au groupe et à soi-même.

Paul Seixas serait alors le premier signe d’une petite révolution culturelle dans le cyclisme français !