« À 2 mois des Jeux, nous sommes la première nation du VTT »
Interview d'Yvan Clolus, entraineur national VTT.
Les récents Championnats de France de VTT ont livré des vainqueurs attendus chez les élites. Loana Lecomte a survolé la course femmes en l’absence de Pauline Ferrand-Prévôt et s’est attribué un quatrième titre consécutif. Jordan Sarrou a remporté la course hommes. Victor Koretzky a perdu toutes ses chances sur un mauvais départ.
À deux mois des Jeux Olympiques, et même si la sélection officielle ne sera annoncée que le 5 juin, voici un point d’étape avec Yvan Clolus, un sélectionneur disert et serein.
Yvan, la sélection femmes semble évidente. Or, Loana Lecomte, de façon inhabituelle, était passée à côté de sa Coupe du Monde au Brésil. Qu’en est-il vraiment de son état de forme ?
Il n’y a absolument rien de préoccupant. Loana reste une pilote jeune, qu’on accompagne avec Philippe Chanteau, son entraineur, depuis l’époque du Pôle France VTT. C’est une athlète qui progresse encore mais on la connait bien, déjà, et on sait qu’elle sera prête le jour J. Certes, on entend ici et là des voix inquiètes ou dubitatives, mais c’est parce que Loana nous a, en quelque sorte, trop bien habitués – on s’attend à ce qu’elle soit toujours performante. Or, on sait aussi que cette façon d’être toujours au top n’est pas souhaitable. À plus forte raison parce que c’est quelqu’un qu’on aimerait voir faire une longue carrière. Tout cela relève d’une vision à long terme et d’un travail de fond qui n’est pas forcément visible. Pour ce qui concerne l’approche des Jeux, elle est dans un planning de montée en pression linéaire, entre les stages de l’hiver et la fin juillet. Elle n’était donc pas encore à 100% au mois d’avril, contrairement à d’autres. Ce qui s’est passé au Brésil [elle s’est classée 21e sur une manche de Coupe du Monde] n’est donc pas une surprise – en tout cas cela n’a rien de déstabilisant. La saison est longue.
Après les Jeux il y aura encore des courses importantes : le championnat du monde fin août, des coupes du monde fin septembre. Loana sait que si elle va trop vite trop fort en début d’année, il sera difficile de tenir. Or, il y a une vraie prime à la fraîcheur à partir de l’été. Elle est suffisamment forte dans sa tête pour mettre chaque chose à sa place : se sentir un peu débordée en course comme cela lui est arrivé au Brésil n’est jamais un sentiment agréable, mais c’était plus ou moins attendu. Nous la connaissons bien, nous avons toutes ses valeurs, et je peux vous dire que nous n’avons pas affaire à une athlète en burn-out ou en méforme. Je suis parfaitement serein à son sujet.
Pauline Ferrand-Prévot, qui ne s’aligne pas sur ce championnat de France, a choisi de se préparer de son côté ?
Oui, Pauline, c’est un cas à part. Elle a déjà tout gagné, plusieurs fois. Il faut bien avoir à l’esprit qu’aucun champion ne peut revendiquer un palmarès comparable au sien : on parle de 15 titres de championne du monde, et de titres de championne de France si nombreux qu’on ne les compte même plus. En revanche, et elle est la première à le reconnaître, elle a un rapport compliqué aux Jeux Olympiques. Cette fois-ci, elle a décidé de faire comme elle le sentait. Le premier élément c’est son choix d’équipe. Ineos drive tout ce qui la concerne depuis 2 ans. Ces gens-là sont dans la perf, non pas dans l’affect – ils ont déjà gagné plusieurs Tours, ils ont gagné les Jeux avec Pidcock, etc. Et ils aident Pauline à faire des choix rationnels.
Pauline aime les gens, et ne sait pas toujours garder le recul nécessaire, c’est quelqu’un qui donne trop quand elle accepte les sollicitations.
Elle doit se protéger de ce qui peut la mener à sa perte. Elle a choisi de se mettre à l’abri de cet aspect médiatique qui lui pèse. Elle met en place des stratégies pour éviter de se perdre. Cela n’est dirigé contre personne, elle se protège, et rien d’autre. Attention, c’est un choix difficile pour elle, car elle sait très bien que ce n’est pas anodin, de ne pas aller vers le public, ou vers la presse. Mais la seule question importante, c’est : « que faire pour être au top le 28 juillet ? » D’un autre côté, elle a 32 ans, c’est quelqu’un à qui on sait pouvoir faire confiance, qui a gagné 4 des 5 derniers mondiaux en nous disant à chaque fois « faites-moi confiance, je serai prête. » Elle ne nous demande que ça. S’il y a quelqu’un à qui nous devons d’accepter son choix et de l’accompagner, c’est bien elle ! Je sais qu’on peut lui faire confiance, et d’ailleurs elle n’a jamais fait un début de saison aussi constant, régulier, fort, que cette année.
Passons aux garçons, le choix est moins évident ?
Nous sommes la première nation, en VTT. Avec Jordan Sarrou, Victor Koretzky, Joshua Dubau et Thomas Griot, nous avons 4 athlètes dans les 12 premiers du ranking UCI – et encore, on pourrait ajouter Adrien Boichis qui occupe le 13ème rang. Cette densité que le monde nous envie n’empêche pas de regarder au cas par cas.
Victor, dans notre esprit, a un statut particulier depuis la fin 2023, saison où il avait validé beaucoup de choses (places et victoires en Coupe du Monde et sur le Test Event.) Le circuit d’Élancourt [circuit des JO, ndr.] lui convient, il est en pleine force de l’âge, depuis 2 ans il a fait des choix difficiles mais qui paient en matière d’entrainement (je veux parler d’aller sur la route pour augmenter en cylindrée.) Question J.O, Victor reste sur sa faim : une 5ème place à Tokyo à 16 secondes de la médaille, sans parler de sa crevaison à Rio : alors ces Jeux-là, il fait tout pour les réussir ! En plus c’est un homme de championnat, comme on dit, il sait être prêt pour le jour J. On lui laisse une grande liberté, et on l’accompagne dans les choix qu’il fait.
Yvan Clolus, entraineur national VTT.
Pour le deuxième homme, les choses vont se préciser. Nous ne sommes pas tout à fait fixés encore. Certes, Jordan a mis au fond deux fois avec deux top 5, proche de la gagne, de la consistance depuis plusieurs années maintenant, il est numéro 1 mondial aujourd’hui, il fait toujours de bon départ et aux Jeux il partira en première ligne, vite et bien. Par ailleurs, c’est vrai, on pouvait penser à Joshua Dubeau, mais il s’est blessé. Il souffre d’une fracture du coude, on lui a posé une prothèse de tête radiale, il est hors-jeu pour quelques mois. On lui souhaite de revenir en forme pour la fin de l’été.
Vous parlez comme si la sélection était déjà faite !
Non, pas du tout. Le VTT XCO est un sport plein d’aléas, tout peut changer rapidement. La sélection n’est pas faite. J’ai parlé des 4 athlètes les plus en vue. Après tout, Pauline est championne du monde, Loana a remporté la Coupe du Monde, et actuellement Jordan Sarrou est numéro 1 mondial, et Victor Koretzky leader de la Coupe du Monde. Avec les autres, on n’est pas sur des top 5 en Coupe du Monde, pour l’heure.
Mais si nos leaders sont si bons, c’est aussi parce les autres poussent derrière !