Interview Romain Bardet : « L’Équipe de France, c’est une belle romance »

Au récent Championnats du monde de Zürich, qu’il a terminé à la 10ème place, Romain Bardet a honoré sa dernière sélection en Équipe de France, après 15 ans d’une « romance » sans ombre. Il revient pour nous sur la signification qu’il accorde à ce maillot.
Te souviens-tu de tes débuts en Équipe de France, de la première fois que tu en as enfilé le maillot ?

Ma première sélection en Équipe de France remonte à 2008, en juniors. Je pense qu’il s’agissait d’un stage, où Pierre-Yves Châtelon, avec qui j’ai gardé depuis lors d’excellentes relations, m’avait convié après mes bons résultats sur les premières courses nationales, notamment la Bernaudeau Juniors. Ensuite, j’ai fait une grosse partie du calendrier international 2008 sous les couleurs de l’Équipe de France.
Gardes-tu des souvenirs marquants, saillants, de cette époque ?
Plutôt une impression générale, très forte, que des anecdotes. À cette époque, pour nous juniors et même en espoirs, être en Équipe de France c’était vraiment l’alpha et l’oméga. Nos saisons étaient vraiment articulées autour des courses disputées par équipes nationales – je pense à la Coupe des Nations par exemple, et bien sûr aux grands championnats, d’Europe et du monde. On voulait marcher sur les courses nationales et les challenges nationaux, pour pouvoir porter le maillot de l’équipe de France, parce que c’était la voie d’accès au plus haut niveau du cyclisme. Et puis, il y avait une vraie fierté !
Que deviennent cette vision et cette fierté quand on a atteint le plus haut niveau du cyclisme professionnel ?
Les sélections sont plus épisodiques, puisqu’on court pour nos employeurs respectifs, mais il reste un lien. Pour ma part je ne suis pas allé tous les ans en Équipe de France, mais toujours à des points un peu clés dans ma carrière, et à chaque fois ce fut un grand plaisir. J’ai d’excellents souvenirs de mes années espoirs, sous la conduite de Bernard Bourreau, qui non seulement était un grand passionné et fin connaisseur de cyclisme, mais qui avait la volonté de partager, et le talent de transmettre. En espoirs encore, les courses sous le maillot de l’Équipe de France, c’était notre plateforme de visibilité pour être repérés à l’échelon professionnel. Le Tour des Pays de Savoie, et bien sûr le Tour de l’Avenir étaient des tremplins vers la carrière pro.

Que retrouves-tu à chaque fois que tu es sélectionné, et que tu reviens dans le cadre de l’Équipe de France ?
On retrouve les gens, pour commencer. Il y a une certaine continuité dans les staffs, et je connais certaines personnes depuis plus de quinze ans. Des kinés, des médecins, des coachs… ou Emmanuel Brunet que je fréquente depuis longtemps. 2013, 2014, 2016 pour les Jeux Olympiques, 2018, 2022 et 2024 : de fait, je suis venu régulièrement, le lien ne s’est jamais rompu. L’Équipe de France c’est une structure pérenne et cependant moins pesante que notre cadre en équipes de marque. Et puis, c’est toujours avec joie qu’on va en Équipe de France, c’est un choix volontaire, une adhésion. Alors que dans une équipe professionnelle, le coureur n’est pas seul décideur de son calendrier de courses et de stages, le poids des obligations se fait plus sentir. En Équipe de France, c’est une volonté commune, on est content de se retrouver et de partir en mission ensemble. Une fois dans l’année, il y a une belle romance autour de ça.
Cet état d’esprit et cette cohésion sont-ils spécifiques à l’Équipe de France, ou en va-t-il ainsi dans toutes les équipes nationales ?

(il hésite) C’est une bonne question. Certes, quant à nous on se connait tous très bien, et l’alchimie opère. C’est probablement le cas pour certaines autres nations – je pense à l’Italie par exemple. En revanche, je n’ai pas le sentiment qu’il en aille de même en Belgique. Même au sein du peloton World Tour, où nous appartenons à des équipes différentes, il y a une vraie proximité entre nous, coureurs français. Il y a cet état d’esprit. Même si nous exerçons nos métiers pour différents employeurs, il y a au fond entre nous plus de complicité que de concurrence.
Quelle différence y a-t-il entre le fait de courir sous le maillot d’une équipe de marque et sous le maillot national ?
Je dirais qu’en Équipe de France, on est dans une approche naturelle du cyclisme. Toute l’année, on ne parle que de l’hyper-professionnalisation du vélo, avec ce qu’elle peut avoir d’excessif ou de questionnable, en termes d’intérêts aussi bien sportifs qu’économiques. Or, en Équipe de France c’est différent. Non que l’approche de la performance ne soit pas professionnelle, loin de là, mais c’est un moment où j’ai le sentiment de revenir aux fondamentaux de la course cycliste elle-même. La course à l’état brut, si je puis dire. On parle stratégie, on se motive, on se retrouve pour faire la course un peu comme on pourrait se retrouver pour une fête.