Équipe de France

Interview Pauline Ferrand-Prévôt : « Je m’isole pour préserver mon énergie » 

pauline ferrand prévôt

Elle a tout gagné. C’est une, si ce n’est LA plus grande championne de son sport. Avec 18 titres de championnes du monde, aussi bien en VTT que sur route, en cyclo-cross qu’en gravel, et 31 maillots de championne de France, elle est inégalable.

On le sait, un seul titre lui manque, c’est le titre de championne olympique. Elle se prépare pour Paris 2024 avec une détermination infaillible et une méticulosité absolue, au point de s’être mise en retrait de toute vie publique. Elle nous explique pourquoi.

Pauline, on relate depuis si longtemps tes exploits innombrables, qu’on en a presque oublié tes débuts. Peux-tu nous dire un mot de la façon dont tu as débuté le vélo ? 

J’ai grandi dans une famille cycliste. Mon papa tenait une boutique de vélo, et mes 2 parents étaient cyclistes amateurs. C’est avec eux que j’ai commencé à pédaler, sur la route – je devais avoir 5 ans. Quelques années plus tard, vers mes 8 ou 9 ans, le comité cherchait une fille pour compléter la sélection au TFJV. Mais on m’avait dit que pour y aller, je devais être capable de faire un tour complet sur moi-même en déplaçant la roue avant et sans poser pied à terre. Autant dire que je me suis entraîné des heures, des semaines et des semaines dans le jardin pour y arriver. 

Quel aspect du cyclisme, sport difficile, t’a particulièrement accroché ? 

En VTT spécialement, je crois que j’ai aimé le format cross-country : ce n’est ni trop long ni trop court et tu n’as pas le temps de t’ennuyer, ce qui peut arriver sur la route. Par ailleurs le cyclisme est un sport difficile en effet, et j’ai vraiment le goût de la compétition, je suis particulièrement accrocheuse. Je crois que je tiens ça de ma mère, elle a une force de caractère incroyable. Quand elle veut quelque chose elle n’en démord jamais. J’ai souvent l’impression que ma hargne pallie à une confiance en moi qui peut me faire défaut

À quel moment as-tu eu le sentiment que ta pratique devenait « sérieuse » ? 

Assez tôt. Le jour où j’ai remporté mon premier championnat de France sur route. J’étais minime première année et j’ai remporté le titre en cadettes, donc devant des filles beaucoup plus grandes et a priori plus fortes que moi.

Sauf que je m’étais échappée, qu’elles m’ont reprise, et que je les ai finalement battues au sprint. C’est ce soir-là que j’ai dit à ma mère : « Je sais ce que je veux faire dans la vie, je veux être cycliste professionnelle. »  

Avez-vous aussi pris conscience de votre talent exceptionnel à ce moment-là ? 

J’ai peut-être du talent, mais moi c’est surtout au travail que je crois. J’ai toujours su qu’il fallait travailler dur pour avoir ce que l’on veut. À l’école aussi. Et j’aime profondément la vie que je mène. Depuis petite au fond, je n’en ai jamais eu d’autre que le vélo, mais je n’ai jamais eu le sentiment de passer à côté de quelque chose ou de « sacrifier » quoi que ce soit. M’entrainer et courir, je ne demande que ça depuis toujours. Je ne me lasse pas. D’ailleurs, toute petite déjà, j’avais très peur de m’ennuyer les week-ends, je ne supportais pas de rester à la maison – encore moins si je savais que les autres couraient. 

Cette année, tu n’as pas disputé le championnat de France, et tu as fait en sorte de « disparaître des radars », notamment en n’accordant aucune interview. Peux-tu nous expliquer ce choix ? 

Eh bien, évidemment, les Jeux sont un objectif majeur pour moi. J’ai la chance d’avoir la pleine confiance d’Yvan Clolus et de l’Équipe de France, qui me laissent m’entrainer de mon côté. Dans le but d’être le mieux préparée possible, j’ai tout fait pour gagner en sérénité. Dans mon équipe, nous avons un psychiatre assez génial, qui m’a aidée à comprendre beaucoup de choses. J’assume ouvertement le côté très autocentré de la vie d’athlète et j’ai appris à économiser mon énergie, au double sens physique et psychique. J’ai réalisé qu’au quotidien, chaque geste coûte de l’énergie : m’entrainer bien sûr, sur le vélo, et en dehors, mais tout, absolument tout, réclame de l’attention, de l’alimentation à la logistique. L’énergie m’est comptée, je ne peux pas me disperser. J’ai pris du recul par rapport aux réseaux sociaux, extrêmement énergivores et, c’est vrai j’évite même les situations où je suis obligée de parler, de faire la conversation.

Je m’isole pour préserver mon énergie, pour ne rien négliger de ma préparation et pour n’avoir rien à me reprocher.

Autrefois je n’aimais pas la solitude, j’avais toujours besoin d’être entourée, mais aujourd’hui je me sens mieux quand je suis seule. Et, sincèrement, je suis plus heureuse que jamais !