Championnats de France

Championnats de France 2025 aux Herbiers : l’art du chrono

Selon la tradition, les championnats de France 2025 se sont ouverts, aux Herbiers, par les courses contre-la-montre. Les « spécialistes de l’effort solitaire » ont brillé, de Bruno Armirail à Cédrine Kerbaol en passant par Mathias Ribeiro Da Cruz, et la demi-surprise est venue de Paul Seixas, déjà troisième chez les pros à 18 ans seulement. Mais celui-là semble omni-spécialiste. Ils nous surtout posé une question : qu’est-ce qu’un contre-la-montre ?

Du tracé de ce chrono (le même pour femmes et hommes, pour pros et amateurs), on pourrait dire pour en donner une idée juste mais par défaut, que ce n’était pas de la tarte. En guise de description, on se contentera de mentionner une première partie roulante, certes, mais pas plate pour autant, et exposée au vent. Puis une deuxième franchement accidentée, mais plus sinueuse, serpentant entre les haies bocagères, et de ce fait globalement plus abritée.

En bref, un parcours plus difficile en pratique que sur le papier. Un parcours pour spécialistes, en tant qu’il ne suffit pas d’ouvrir les gaz pour faire « hennir les chevaux du plaisir » (Bashung) et pour être efficace en chrono, mais plutôt d’adapter continuellement son effort et ses appuis.

Effort objectif

Car le contre-la-montre, on le dit souvent sans y prêter suffisante attention, c’est vraiment un combat contre soi-même, un arrangement avec cette spatialité intérieure – cet espace invisible et sans dimension – qu’on appelle son corps.
On en voudra pour preuve les conférences de presse d’après course. Parmi les lauréats, pas un ou pas une, pour en parler dans les mêmes termes. D’aucuns y voient une science objective, d’autres une aventure introspective.

Dans le registre objectif, on recourt au langage très protestant des affaires ou de la science économique. Par exemple, (le pourtant très mozartien) Paul Seixas a évoqué au micro un « plan de gestion » de son effort, conçu avec son entraîneur. Le nouveau champion de France amateur, Mathias Ribeiro Da Cruz, ingénieur de profession et spécialiste d’aérodynamique, a tenu le compte des secondes grapillées, comme s’il cherchait à attribuer une origine précise à chacune d’entre elles : à chaque élément (position hauteur des chaussettes, largeur des jantes, textile de la combinaison…) correspondrait ainsi un capital exprimé en seconde gagnés. En matière de chrono, n’est-ce pas l’occasion de le dire, le temps c’est de l’argent !
Or, son dauphin, Artus Jaladeau a balayé, sinon les arguments objectifs, du moins la posture cognitive, de son vainqueur : « Moi, je pense que le plus fort a gagné, a-t-il dit, même si j’aurais peut-être pu grapiller ici ou là, en affûtant certains détails de matériel. »

Effort vécu

Ce glissement, apparemment léger, d’une logique comptable à un point de vue plus englobant signale en fait une perspective radicalement différente sur l’effort vécu. Sur la lutte avec soi-même. Car, aussi bien qu’en termes scientifiques, comptables, on peut faire le récit de son effort : c’est alors le registre de l’intériorité, le lexique de la force morale, qui est mobilisé. On parle de sa douleur, de sa volonté farouche : le même Paul Seixas a mentionné aussi cette tension psychique, et attribué sa performance au fait d’« avoir été capable de ne pas craquer. »
Plan de gestion ou pas !

Ben, oui ! maintenir son effort, c’est toujours résister à la tentation de l’interrompre, c’est endurer cette tentation agitée par la douleur. Cédrine Kerbaol est allée plus loin que les autres dans cette voie, déclarant que « le chrono, c’est un truc de sadique » !  On s’exprime ainsi en termes plus « catholiques » que « protestants », on en appelle plus au courage qu’à la mathématique, on vise la grâce plus que la production d’un résultat calculé, et on se place dans un registre où la manière ne compte pas moins que le classement.