Équipe de France

Aubin Sparfel, technicien de surfaces

Alors que s’ouvre la saison de cyclo-cross, avec la première manche de Coupe de France disputée ce week-end à Albi, il faisait sens de s’enquérir d’Aubin Sparfel. Ex-champion d’Europe U19, désormais aligné dans la catégorie U23, le Vosgien est un des fers de lance de l’Équipe de France, et ne se cache pas de viser le titre Européen, voire…

Il parle calmement, à voix presque basse, à travers un sourire dont l’intensité varie et qu’il contrôle, mais qui ne quitte jamais tout à fait son visage.

Et, peut-être parce qu’on lui demande d’évoquer des souvenirs lointains, il regarde comme loin devant, ou au-dedans, de lui. Est-ce le signe qu’il est heureux ? Sans doute. Mais est-ce si simple que cela ? Pas si sûr.

Il y a de la timidité aussi, dans la façon dont il semble réprimer l’expression de ses traits. Il nous dira plus tard combien il apprécie la modestie, et combien l’arrogance ou le clinquant le mettent mal à l’aise – c’est pour cela dit-il, qu’il préfère Vingegaard à Pogacar, Van Aert à Van der Poel. Il est de ceux qui s’attachent à l’abnégation et à la manière plutôt qu’au résultat. Môme, il était fan de Romain Bardet, l’intello discret à la grande carrière.

Louis, son frère, était plutôt branché Absalon. Et Annaëlle, la petite sœur, n’avait d’yeux que pour Pauline, alors la compagne de Julien. Car c’est dans les Vosges qu’ils ont grandi, à Golbey. « Entre plaine et montagne », dit-il, comme tous ceux que les bosses n’effraient pas, et qui ne parlent de grimpée qu’à propos des grands cols.

On peut dire qu’il est né dans une famille de cyclistes, pas seulement au sens où son frère aîné et sa sœur cadette courent eux-aussi, mais parce que leur père les a précédés en tant que licencié et compétiteur.

Ce père qui, après avoir, évidemment, guidé les premiers tours de roue de ses enfants a dû, par dévouement à sa progéniture, renoncer à sa propre pratique de la compétition : « C’est vrai qu’avec trois enfants dans trois catégories différentes, il a fini par s’occuper de la mécanique et du poste de dépannage en cyclo-cross ! », constate son fils.

Abnégation d’autant plus pure que, on le sait, il n’est pas rate que les enfants rechignent à appliquer les conseils quand ils viennent de leurs parents : une instruction parfaitement identique sera plus facilement appliquée si elle émane du coach que du daron – un grand classique !
En tout état de cause, Aubin raconte qu’il n’aimait guère s’entrainer, mais qu’il adorait la compétition. Il aimait y retrouver ses copains, courir bien sûr, ou regarder la course des grands. Il est si amusant, aussi, de se salir en cross, de rouler dans les flaques, de lever des gerbes de boue ou de s’y étaler au détour d’une trajectoire mal choisie.

C’est sur ce versant convivial et ludique que, dans les rangs du Cycle Golbéen, il s’est laissé aller au cyclisme. Non qu’il ne fût depuis toujours « compétiteur dans l’âme », comme on dit, mais il n’a pas été emporté par la facilité ; jusqu’en junior, assure-t-il, il gagnait mais « de justesse, c’était toujours serré. »

C’est à ce moment seulement, que son talent et ses moyens sont devenus évidents, et que les résultats ont changé de dimension, passant à l’échelon national et international. Champion d’Europe de cyclo-cross en junior, puis 3ème du même championnat et de la coupe du Monde en Espoirs. Il brille désormais aussi sur la route : en 2025, il a remporté le Tour du Finistère et l’Alpes Isère Tour.

Loin de le griser, ces succès ne l’ont pas empêché de faire des choix forts, orientés sur la saison de cyclo-cross. Ainsi, après un France-Avenir décevant, a-t-il fait volontairement l’impasse sur les Mondiaux et les Europe, pour se régénérer et se rendre capable de « jouer un titre en cyclo-cross. » Pourquoi pas le titre européen des U23 à Middelkerke, dans le sable ? Ou même mondial, à Hulst ? Le projet est d’autant plus réaliste que les deux monstres de la catégorie qu’étaient Jente Michels et Tibor del Grosso sont désormais chez les Élites.

Interrogé sur ses préférences techniques, il évoque spontanément « la boue, les circuits durs », mais il précise aussitôt que « assez bon techniquement, [il se] sent à l’aise sur toutes les surfaces », et que, par exemple « dans le sable, il faut laisser vivre ton vélo, le suivre. Et virer, quand tu es bien en appui dans l’ornière, c’est tellement satisfaisant ! »

Le haut niveau n’a en rien atténué ce besoin vital de s’amuser, qui est à l’origine de sa vocation.
Et de fait, le cyclisme s’est expansé tel un gaz, occupant tout l’espace de sa vie. Une étagère dédiée aux trophées, de plus en plus chargée, occupe toujours le centre de sa chambre, et il consacre ses moments libres…à la pratique d’autres sports (trail, ski de rando…)

« Je supporte mal de rester enfermé », explique laconiquement celui à qui, parce qu’il bougeait sans cesse, ses parents adressaient mécaniquement ce soupir : « mais, tiens-toi tranquille ! »

Il a repris le cours d’un BTS en gestion forestière, mais sa vie sociale ne s’aventure guère hors du périmètre cycliste, où il recrute ses potes et où il a rencontré sa petite amie. Il est sur les réseaux, mais poste peu. Il aime la fête, mais ne boit pas, parce que « le cyclo-cross, c’est toujours déjà une fête en soi . » Et quant il rêve, il se voit remporter Liège-Bastogne-Liège, ou échappé sur une étape du Tour.

Ah, le « rêve » : la seule chose qui ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !