Travail de la force :  pour qui et pour quoi ?

En cyclisme, le travail de la force a toujours fait l’objet de nombreux débats, notamment dans les disciplines d’endurance. Or, des moyens importants ont été investis pour étudier différentes méthodes d’entraînement de la force visant à augmenter la performance en cyclisme, en sprint comme en endurance. Mise au point.

Par Iris Sachet, sport scientist à la FFC.

D’abord, discutons des termes utilisés. Qu’entendons-nous par « travail de la force » ? Par définition, la force représente le produit vectoriel de la masse et de l’accélération. Pour simplifier, la force produite détermine la capacité à générer un déplacement face à une contrainte externe (e.g. le soulèvement d’une barre chargée en musculation, ou la rotation d’une pédale avec un développement/braquet important).

Plus la contrainte est faible, plus la vitesse de mouvement est élevée, mais parallèlement la capacité à produire de la force diminue. Cela signifie donc que je peux tout aussi bien travailler ma capacité de force à des vitesses élevées, et cette distinction est importante.

Dans le langage courant, le travail de la force est associé à des charges absolues élevées, donc à des vitesses de mouvement faibles. En cyclisme, le genre d’exercices historiquement utilisé consiste donc à pédaler à une cadence faible, sur de gros braquets. La puissance qui va être appliquée par l’athlète va déterminer le niveau de force développé (puissance = force * vitesse).

En parallèle, d’autres formes d’entraînement de la force existent « off-bike », le plus souvent en salle de musculation. Ce type d’entraînement est couramment utilisé par les cyclistes des disciplines de sprint, car il permet de mobiliser plus facilement des masses très importantes, et de travailler aussi sur le haut du corps. Il ne fait plus guère de doute que le gain de force est essentiel dans les gains de puissance. Toutefois, cette forme d’entraînement reste très débattue dans les sports d’endurance, étant encore associée dans les esprits à une prise de masse. Or, de nombreux gains de force sont observés en l’absence de modification de la masse et a contrario, l’augmentation de la masse musculaire ne s’accompagnant pas nécessairement d’un gain de vitesse, elle peut aussi bien n’apporter aucun gain de puissance (laquelle reste le critère-phare en cyclisme.)

Quelles sont les adaptations générées par un entraînement de la force ?

Une des adaptations les plus connues de l’entraînement en résistance et associé à un gain de force est l’hypertrophie. De façon schématisée, cela correspond à une augmentation du contenu musculaire (du nombre de myofibrilles ou de leur taille). Qui dit augmentation du contenu dit effectivement une prise de masse potentielle.

Toutefois, elle demeure très intéressante car elle permet la réalisation du mouvement à un niveau de force relatif inférieur, et donc un coût énergétique moindre (moins de fibres doivent être activées). Ainsi, lorsque la contrainte du poids de corps est moindre, comme dans des efforts où l’effet de la gravité joue peu et que les phases d’accélérations sont réduites, cette adaptation reste positive. On accepte l’idée qu’un sprinteur prenne de la masse. Toutefois, à partir d’un certain niveau d’hypertrophie, des modifications des bras de levier musculaires peuvent apparaître, entraînant des conséquences délétères pour les mouvements à vitesse élevée. Dans le même sens, des hypertrophies (donc gains de masse) excessives des segments en chaîne distale (la partie distale est la plus éloignée d’un point d’attache : pour la jambe, typiquement, les mollets) peuvent dégrader l’économie du mouvement par une augmentation du coût lié à l’accélération dans les mouvements inertiels. Même si ce type d’adaptation n’apparaît qu’au gré d’énormes quantités d’entraînement en résistance, c’est un élément à prendre en compte pour les disciplines de sprint.

Par ailleurs, chez les cyclistes des disciplines d’endurance, la probabilité de prendre de la masse lors d’entraînement concurrent (endurance + musculation) est assez faible. Souvent, c’est plutôt la composition corporelle qui peut évoluer, vers un rapport masse maigre/masse grasse plus élevé. Il faut donc des volumes d’entraînement en résistance très élevés pour voir apparaître des augmentations de masse corporelle significatives. Et ceci est d’autant plus vrai que l’athlète est entraîné en endurance. L’entraînement en résistance entraîne un certains nombres d’autres adaptations microscopiques, notamment quant aux types de fibres musculaires. On en connaît trois grandes formes, classées historiquement en fibres de type I, IIa ou IIx. Même si on observe des différences structurelles et fonctionnelles au sein d’un même type de fibre, des généralités subsistent.

Par exemple, les fibres de type I ont la plus petite vitesse de raccourcissement, mais sont plus résistantes à la fatigue que les fibres de type II, qui quant à elles nécessitent plus d’énergie pour produire de la force et sont plus susceptibles aux dommages musculaires.

Les études n’ont pas montré de passage d’une fibre de type I à type II avec de l’entraînement en résistance seul ou combiné à de l’endurance. La diminution du contenu en type I est souvent non significative et faible (< à 1%). En revanche, l’entraînement en résistance augmente la force contractile des fibres de type I, les sollicitant à des niveaux d’activation moindres, et retarde le recrutement des fibres de type II, plus fatigables. De plus, beaucoup d’études montrent que des programmes d’entraînement en résistance ou des programmes concurrents résultent en un transfert de fibres de type «IIx » et hybrides « IIx/IIa » en des fibres purement de type « IIa ». Cet aspect est très intéressant pour des athlètes endurants. Il l’est moins pour des sprinteurs puisque les fibres de type IIx présentent les taux de montée en force les plus élevés, ce qui peut être délétère pour des performances très explosives ou à très haute vitesse. Cette décroissance proportionnelle de fibres de type IIx intervient lorsque les volumes d’entraînement sont élevés et réalisés jusqu’à l’échec. À l’inverse, des entraînements à hautes vitesses ou charges basses, ou de l’entraînement à très lourdes charges peuvent permettre de mieux les conserver.

En résumé, on peut dire que l’entraînement en résistance lourd n’a pas d’effet nuisible sur la typologie musculaire pour les sports d’endurance, qu’il s’agisse de route, de piste ou de VTT. Il faut être plus prudent dans les sports nécessitant des efforts « one shot », maximaux et explosifs : des volumes importants peuvent réduire la proportion en fibres de type IIx.

Cependant, même si c’est un champ scientifique qui mérite encore d’être approfondi, il faut aussi noter qu’il existe des preuves de « rebond » des fibres IIx après une période d’affûtage suivant une période d’entraînement en résistance lourd. Enfin, il importe d’avoir en tête les contraintes spécifiques de l’activité : s’il s’agit d’une performance où il faut répéter plusieurs fois des sprints dans des temps courts, la conversion des fibres de type IIx en type IIa est intéressante puisque ces dernières sont plus résistantes à la fatigue.

Il existe encore d’autres sortes d’adaptations de l’entraînement en résistance – tendineuses, mitochondriales, et bien sûr nerveuses. En effet, les adaptations les plus précoces s’opèrent à l’échelle du système nerveux central et n’ont que des effets positifs quelle que soit la discipline pratiquée (recrutement et synchronisation des unités motrices, coordination inter- et intra-musculaire). Ces adaptations peuvent donc apparaître à la suite d’un entraînement en salle de musculation où la manipulation des charges est facilitée. Toutefois, les mêmes adaptations peuvent apparaitre des suites d’entraînement de la force sur le vélo, pour peu qu’on puisse recréer le niveau de contrainte suffisant. Plusieurs études l’ont démontré. On a, par exemple, comparé les résultats d’un entraînement contrôlé en musculation, avec ceux d’un entraînement sur le vélo sous la forme d’efforts maximaux contre des résistances très élevées (à de très basses cadences < à 50 rpm).

Des améliorations significatives des forces développées en pédalage mais aussi en squat apparaissent dans les deux cas, mais sans différences significatives. L’entraînement « on-bike » peut être plus sollicitant pour l’athlète en termes d’engagement, mais demeure efficace et très spécifique.

En conclusion, le travail de la force est d’un intérêt majeur pour les cyclistes de toutes disciplines. Qu’il soit « off-bike » ou « on-bike », il génère des adaptations essentielles pour obtenir des gains de force qui permettent de développer une puissance maximale plus élevée, et aussi de maintenir des niveaux de puissance élevés plus longtemps en raison d’une moindre fatigabilité des fibres musculaires, même de type « lentes ». La gestion du volume et du type de sollicitation est cruciale. Aux cyclistes d’endurance, on conseillera davantage des volumes plus faibles (2 à 3 séries/exercice avec un total de 2 à 3 exercices par session) avec une alternance de charges lourdes/légères (une charge est considérée « lourde » à partir de 85% de 1RM, soit approximativement une capacité à soulever 6 fois) alors qu’on pourra se tourner vers des volumes plus importants chez des sprinteurs (3 à 4 séries/exercice avec un total de 3 à 4 exercices par session) tout en contrôlant le type de contraintes.